De la fierté à la honte... Pendant 50 ans, tous les grands événements nationaux ou internationaux prendront place au stade du Heysel. Pendant un demi-siècle, il restera une fierté pour Bruxelles. Mais tout bascula en une seule soirée. Depuis, les fantômes des 39 victimes hanteront à jamais ce haut lieu du foot.
Jusqu’en 1930, la capitale belge ne possédait aucun équipement sportif d’envergure. Il y avait bien le Vivier-d’Oie
(et sa fameuse tribune en béton, construite en 1902), le Parc Duden, antre de l’Union Saint-Gilloise, ainsi que le stade Oscar Bossaert du Daring. Mais ces trois stades étaient localisée loin de
Bruxelles-Ville, étaient coincées dans des quartiers peu accessibles et surtout, n’avaient qu’une capacité fort limitée (moins de 10.000
places pour le premier, 15 à 25.000 pour les deux autres).
Le centenaire du pays approchant à grands pas, la Ville se met en quête, dès 1927, d’un terrain suffisamment vaste pour accueillir
un grand stade et plusieurs terrains annexes. Le choix sera vite porté sur le plateau du Heysel, au nord de la ville.
Le 23 août 1930, centenaire de l’indépendance belge, le stade subit son baptême du feu en accueillant le Championnat du
Monde de cyclisme sur piste. Le 14 septembre, le Prince Léopold peut inaugurer officiellement la nouvelle fierté bruxelloise
lors d’un traditionnel derby Belgique - Pays-Bas.
Enfin, la prestigieuse Coupe Gordon Bennett prend son envol depuis la pelouse en 1937 (il s’agit d’une compétition internationale
de montgolfières)
Le nom du complexe sera logiquement « Stade du Centenaire ».
La cuvette passe le conflit 39-45 sans trop d’encombres. Seule la piste cycliste en bois disparaitra, probablement
convertie en bois de chauffage pendant l’occupation.
Au sortir de la guerre, le stade est rebaptisé « Stade du Heysel ».
Après-guerre, le stade retrouve sa vocation et accueille divers événements comme un match de boxe entre le légendaire français Marcel Cerdan contre Cyrille Delannoit qui verra la victoire étonnante de l’underdog belge, ou en 1950, le Championnat d’Europe d’Athlétisme.
Quant au foot, le Heysel accueille dès 1954 la finale de la Coupe de Belgique. Le White Star (et son successeur, le Racing White)
y élira domicile dans les années 60 (sans y rencontrer du succès populaire) et le Sporting d’Anderlecht y disputera quelques
rencontres européennes.
Point de vue infrastructures, le stade reste tel quel pendant 41 ans. Il faudra attendre 1971 pour voir les premiers
travaux s’engager. Ainsi, une nouvelle piste d’athlétisme en tartan sera installée et, dans la foulée, un éclairage
révolutionnaire. Enfin, une nouvelle tribune couverte sera érigée face à la tribune principale en 1974. Ne proposant
que des places assises, la capacité de l’enceinte tombe à environ 50.000 places.
À partir de 1977, ces nouveaux aménagements permettront la tenue annuelle du Mémorial Ivo Van Damme, un meeting d’athlétisme.
Cette compétition, fondée en l’honneur d’un athlète belge double médaillé aux JO de 1976 à Montréal décédé quelques temps
après son sacre olympique, verra régulièrement les records tomber et acquerra au fil des années une excellente réputation.
Depuis, le Van Damme est un must pour tous les athlètes mondiaux de haut niveau.
Si une nouvelle piste, une nouvelle tribune et un nouvel éclairage ont permit au stade de s’offrir un second souffle, les bâtiments de 1930, eux, n’auront droit à aucun traitement de faveur.
Les autorités avaient prévu de complètement séparer les deux camps : les anglais du côté Wemmel (blocs X et Y) et les
italiens côté Atomium (blocs M, N et O). Entre deux, dans les tribunes latérales, les spectateurs neutres. Par contre,
le bloc Z, contigu aux blocs dévolus aux anglais, était prévu pour accueillir des spectateurs belges, donc neutres.
À cause des contrôles déficients, des italiens parviennent à se glisser parmi les belges du bloc Z.
En quelques minutes, la capacité maximale du stade est explosée et après avoir remplis les différents blocs, les portes
sont refermées. Le piège est en place. Des 50.000 places disponibles, on atteint presque 62.000 personnes. Inutile de
faire un dessin quant à la sécurité.
Plan du compartimentage du stade
Dans les vestiaires, c’est la consternation et la confusion la plus totale. Les délégués de l’UEFA, organisatrice de
l’événement, les représentants de la Ville de Bruxelles et les forces de l’ordre ne savent que faire : annuler le match,
le reporter ou le disputer le soir même, malgré la tragédie.
Le fait que tout ait été filmé et diffusé en direct par l’ensemble des télévisions européennes et vu l’agitation dans les
tribunes, les officiels décidèrent de jouer le match.
Hasard ou pas, un pénalty tombé du ciel offre la victoire à la Juventus. Détail réellement sans importance.
Attention ! Ces vidéos contiennent des scènes choquantes.
Avant-match et diverses interviews
Reportage de la BRTN (00:12:05)
Avant-match et résumé de la rencontre
Reportage de la RAI (00:09:36)
Vue des tribunes
Reportage de la RAI (01:07:25)
Dès le lendemain, une enquête débute. Les responsabilités sont vite établies et la justice belge condamne lourdement
les autorités (UEFA, Ville de Bruxelles, Etat Belge).
Quant aux clubs, la Juventus est blanchie tandis que Liverpool est interdit de toute compétions internationale pendant
6 ans. Les autres clubs anglais écopent d’une interdiction de 3 ans.
Il faudra attendre le drame de Hillsborough en 1989 (96 morts et 766 blessés) pour que les autorités britanniques prennent
le problème de l’hooliganisme à bras-le-corps. La France attendra encore plus longtemps et c’est le drame de Furiani en 1992
(18 morts et 2357 blessés) qui enclenchera la sécurisation des stades.
En Belgique, la commission Magotte est créée et passe les stades du pays au peigne fin.
Le stade est peu à peu délaissé, bien que rénové à moindre coût. Le bloc Z est reconstruit et des couloirs de sécurité sont établis
dans les gradins. Quelques finales de la Coup de Belgique et quelques matches des Diables (dont un amical Belgique - Zambie
d’anthologie, 9-0) s’y déroulent mais le public ne répond plus présent.
Par contre, le Mémorial Van Damme continue de s’y tenir.
Finalement, le stade est définitivement fermé en 1993.
Bien que ce soit le football qui ait terni l’image du stade, ce sera pourtant le même sport qui lui rendra pourtant
ses lettres de noblesse.
Le pays ne bénéficie plus depuis près d’une décennie d’un stade national et les finales de Coupe ainsi que les matches de la sélection
nationale se déroulent dans les stades des clubs, ce qui commence à agacer ces mêmes clubs.
Début des années 1990, un ambitieux projet est mis sur pied : la Belgique se porte candidate, conjointement avec les Pays-Bas,
pour l’organisation de l’Euro 2000.
Les matches internationaux reviennent peu à peu (comme la finale de la Coupe). Aucun problème n’est à déplorer, ce
qui incitera l’UEFA à confier à Bruxelles sa première finale européenne depuis la funeste soirée de 1985.
Devant des gradins combles, le Paris-Saint-Germain bat le Rapid Vienne 1-0 et remporte sa première Coupe des Coupes. Après
quelques craintes, le stade reçoit finalement les félicitations de tous, ce qui permet de redorer le blason du stade.
Depuis l’officialisation de l’organisation de l’Euro 2000, le cahier des charges a été modifié et l’UEFA exige désormais un
stade de 50.000 places pour le match d’ouverture de l’Euro 2000.
Une nouvelle rénovation débute immédiatement en reconstruisant la tribune de 1974 et en installant un balcon supplémentaire
au-dessus de trois tribunes. Par contre, aucune loge ou aucune infrastructure dédiée aux VIP n’est prévue ce qui rend le stade
sûr, fonctionnel mais sans plus. Ce manque de confort sera de plus en plus criant quand les exigences de confort augmenteront
avec le temps.
Néanmoins, le Heysel a réussi à gommer la honte de 1985 et les supporters des Diables commencent à y revenir en masse.
La Belgique s’est réconciliée avec son stade national.
Depuis quelques années et avec la nouvelle popularité des Diables, le Stade Roi Baudouin se révèle trop petit.
Mais, et c’est beaucoup plus grave pour certains, son relatif inconfort en gênerait plus d’un et la présence d’une piste
d’athlétisme diluerait l’ambiance provenant des tribunes. Argumentation quelque peu subjective... La rénovation ou le remplacement
du stade est de plus en plus un sujet de conversation à la mode.
Le projet NEO comporte plusieurs versions, dont une avec le stade
Comme alternatives au stade actuel, la Ville de Bruxelles propose de construire une nouvelle enceinte sur le parking C du parc des expositions (terrain appartenant à Bruxelles mais se situant en région flamande, bonjour l’imbroglio politico-communautaire) ou sur un site hautement pollué de la SNCB, à Schaerbeek. En gros, des projets faits à la va-vite, sans concertation et sans vision à long terme. Une triste habitude bien belge.
Sacrifié un tel lieu pour le plaisir de quelques mandataires politiques en vaut-il la peine ?
Vouloir définitivement oublier ce qui s’y est passé en 1985 n’est-il pas une insulte envers les familles des 39 victimes ?
N’y a-t-il pas d’autres priorités pour Bruxelles et la Belgique ?
L’avenir nous le dira.
Le Stade du Centenaire, en 1935.
Sous un autre angle, en direction du site du futur Atomium.
La façade Art Déco de la tribune principale.
Le grand portail, unique vestige conservé lors de la reconstruction de la fin du XXe siècle.
Le hall de la tribune principale.
Le compartimentage des gradins debout restera le même jusqu’en 1985.
La piste cycliste en bois, qui disparaitra pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Match de Championnat d’Europe de Boxe au Heysel le 23 mai 1948. Le belge Cyrille Delannoit remportait, à la surprise
générale, le titre face au français Marcel Cerdan.
Exhibition au Stade du Centenaire, probablement durent l’Expo 58.
En 1962, un Heysel désespérément vide accueillait pour la dernière fois le derby White Star - Racing de Bruxelles.
Ces deux clubs fusionnèrent en fin de saison pour former le Racing White.
Le plateau du Heysel gardera ce visage pendant près de 30 ans après l’Exposition Universelle.
Fin des années 60.
Exhibition de gymnastique au Heysel, au début des années 70.
Les imposants pylônes d’éclairage viennent d’être installés.
À l’aube des années 80.
À l’avant-plan, le parc d’attraction Meli-Park.
Durant les années 80.
De loin, le stade a encore fière allure.
Le vieux stade à la veille de la finale de la Coupe des Clubs Champions 1985.
Les blocs M, N & O, où seront parqués la plupart des supporters italiens.
Les blocs X, Y & Z, futur théâtre du drame.
Le visage pathétique d’une bande de barbares...
Le bloc Z après le drame.
Malgré les morts et les blessés, la rencontre aura lieu.
Reporter (ou annuler) le match aurait été suicidaire vu l’énorme tension encore présente dans les tribunes.
...
Bien que totalement dérisoire lors de cette funeste soirée, il fallait un vainqueur.
Au lendemain du match : murs effondrés, accoudoirs et grillages arrachés et la honte pour le football européen.
Vue du haut du bloc Z, près de l’entrée. Aucune rénovation et presque aucun entretient depuis 1930.
Là où le mur s’est effondré.
RIP...
Le bloc Z reconstruit et les nouveaux couloirs de sécurités (en jaune).
La belle façade d’une enceinte condamnée.
L’un des pylônes d’éclairage.
Ils resteront longtemps les plus puissants et performants du continent.
La reconstruction tant attendue commence en 1993.
Construction de la nouvelle tribune principale.
La tribune assise de 1974 (à gauche) résistera encore pendant 4 ans.
La nouvelle enceinte prête pour l’Euro 2000.
À l’avant-plan, Brupark qui remplaça l’antique Meli-Park.
La façade monolithique du nouveau stade. Le portail de Van Neck s’y insert comme il peut.
Détails du portail (1/2).
Détails du portail (2/2).
Lieu de joies et de peines, ce stade mérite un peu plus d’égard.
Avant-match d’un Belgique-Portugal en juin 2007.
36.816 places au premier niveau, 13.277 au second.
Du béton et de la tôle, regretteront certains... Effectivement, ceci n’est pas un théâtre.
Ambiance dans les gradins.
Au fond, l’ex-bloc Z.
Sont-ce les dernières années d’un stade presque centenaire ?
Ce stade est utilisé quotidiennement. Qu’adviendra-t-il de ses utilisateurs en cas de démolition ?
La demolition du « vieux » stade est sans cesse annoncée, puis reportée.
Il s’agit pourtant d’un lieu important qui pourrait être rénové à moindre frais.
In memoriam.
Que ce lieu soit conservé en respect des victimes.
Soyez le premier & devenez quelqu’un de bien • Be the first & become a good person