Parlons un peu du spectacle grand-guignolesque américain par excellence : le catch.
Tentative d’explication sur la face cachée du divertissement sportif.
Si vous ne suivez pas le catch américain, vous ne pourrez comprendre la signification du titre de cet article.
Et si le catch vous répugne, je ne peux vous donner tort. La réputation sulfureuse du divertissement sportif n'est plus
à faire, ce qui est malheureusement (en partie) justifié.
Avant de continuer, il faut bien saisir la dimension qu'à la lutte professionnelle aux USA ainsi qu'au Canada. Outre-Atlantique, un lutteur a le même statut qu'une star hollywoodienne ou qu'un chanteur à la mode. Si de notre côté le catch n'est suivi que par une minorité (mais qui, cependant, s'agrandie), les grands événements payants tels que WrestleManiaNote1 remplissent des stades de 75.000 personnes et sont achetés par plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs. Les shows bihebdomadaires réunissent quant à eux entre 2 et 6 millions de téléspectateurs à chaque diffusion. En matière de programmes vedettes aux USA, on retrouve la NBA (basket), la NFL (foot américain) et la WWE.
Les bouffeurs d'audience
Partie intégrante de la culture américaine depuis une éternité, la lutte professionnelle trouve
pourtant son origine en Europe dès le milieu du XIXe siècle. A cette époque, les lutteurs accompagnaient les cirques qui sillonnaient
le continent avant de s'affranchir à l'aube du XXe siècle. A ce moment, on compte plusieurs fédérations à travers le Vieux Continent.
La Première Guerre Mondiale et l’ombre que commence à porter à la lutte professionnelle la sacro-sainte boxe anglaise plongeront
le catch en léthargie pour un long moment.
Il faudra attendre la traversée de l'Atlantique et les années 50 avant de voir le catch se réveiller. Depuis, le sport spectacle
est dominé par une seule famille : les McMahon. Transformant progressivement un sport de combat en un divertissement sportif
télévisé, la famille de Vinnie MacNote2 trouvera sa poule aux œufs
d'or. L'implication de vedettes de la télé (Mister T) ou des sportifs reconnus
(Mohamed AliNote3) lors du premier WrestleMania propulsera la
lutte professionnelle au rang de divertissement-roi durant les années 80. Depuis, il est de coutume que les pontes du showbiz
aillent faire leurs promos à la WWE.
De nombreuses autres fédérations existent à côté de la WWE (ex-WWFNote4), comme la TNA, la Ring of Honor, l'ex-ECW (pré-WWE) ou la CZWNote5 mais elles ne peuvent (ou ne veulent) égaler la WWE en termes de rayonnement et de domination mondial. Une seule fédération (WCWNote6) a su tenir tête à l'empire McMahon durant une décennie mais elle finira par être engloutie par cette dernière. Le Japon (avec le Puroresu) et le Mexique (avec la Lucha Libre) sont deux autres pays où le catch tient presque de la religion, mais dans un tout autre style qu'aux États-Unis.
Vince McMahon, le patron tout puissant de la WWE.
L'avidité du personnage de patron diabolique est-elle si éloignée de la personnalité réelle de VKM ? Pas si sûr...
Non, le catch n'a rien de truqué. La lutte professionnelle est un divertissement sportif, c'est-à-dire
qu'il est scénarisé. Si le résultat et les enchainements du match sont prévus à l'avance (on parle de scripting ou
de booking), les coups sont bel et bien "réellement" portés. Évidemment, tout est mis en scène pour faire croire à une violence
hors norme mais les lutteurs ont appris à porter leurs coups pour infliger le moins de blessures possibles à leur partenaire de ring.
Le catch a de nombreux points communs avec les soap-opéras populaires aux États-Unis. On y raconte plusieurs histoires plus ou
moins liées, on y voit des trahisons, des réconciliations, des disputes, des tragédies, etc. A la petite différence que les actrices
sont siliconées et les acteurs stéroïdés et vêtus d'un slip. En outre, la majeure partie des intrigues se déroulent dans un ring.
Parfois, on retrouve aussi une cage, un kendo-stick ou une chaise sur laquelle on ne s'assoie pas (mais qui tombe à point nommé
pour martyriser le dos de son adversaire).
Pour pouvoir joueur leur rôle, les catcheurs endossent un personnage (gimmick dans le
jargon) conçu par eux-mêmes ou par les scripteurs. Cela va du personnage surnaturel (Undertaker, Kane), au super-héro sans peur
et sans reproche (John Cena), au bagarreur irlandais (Sheamus) ou à un clan ultraconservateur à la limite du racisme (Antonio
Cesaro, Jack Swagger et Zeb Colter). Si certains traits de ces personnages sont issus des lutteurs eux-mêmes (Sheamus est réellement
irlandais et CM Punk est réellement Straight EdgeNote7),
la plupart du temps, il ne s'agit que d'un rôle de composition. Et là, le talent d'acteur des lutteurs ne laisse aucune pitié à ceux
qui n'ont pas le niveau. Les catcheurs officient d'ailleurs généralement sous des noms d'emprunt pour bien marquer la différence
entre le personnage et l'homme qui se cache derrière.
Le charisme et l'habilité au micro sont aussi des conditions sine qua none pour tenir le haut du pavé. Nombre de lutteurs possèdent
des qualités athlétiques hors nome, mais sans bagou ou talent d'acteurs (ou n'étant tout simplement pas dans les petits papiers de
la direction), ceux-ci sont condamnés au rôle de faire-valoir (Kofi Kingston, Drew McIntyre, Tyson Kidd, etc.). A contrario, certaines
vedettes n'étant pas capables d'enchainer trois prises correctes se voient attribuer tous les lauriers grâce à leur verve, leur
rentabilité ou leur pistonnage (John Cena, Randy Orton, The Miz, Batista, The Rock, etc.). Ce dernier point contrarie d'ailleurs
un grand nombre de fan de la WWE. Certains préfèrent se tourner vers de plus petites fédérations (circuit indépendant ou
catch indy) où ils seront assurés de voir de vrais lutteurs. Enfin, une nouvelle génération de lutteurs provenant de la
scène indépendante commence à prendre le pouvoir. Ceux-ci arrivent à manier aussi bien l'aspect théâtral que technique du catch
(CM Punk, Daniel Bryan, Antonio Cesaro, The Shield, etc.).
Ami lecteur, voici Glenn Jacobs, alias Kane (démon, demi-frère de l'Undertaker et pas très net dans sa tête).
Sauras-tu reconnaitre son rôle et sa véritable personnalité ? Attention, ce n'est pas évident.
A côté du rôle tenu par les lutteurs, on trouve enfin l'histoire des rivalités, ou storyline.
Le scripting, les gimmicks et les storylines forment le kayfabe. S'il est bien mené, le kayfabe arrive à faire croire que le
catch n'est pas scénarisé. Que les histoires racontées sont réelles et que tout ce qui est imprévu l'est véritablement. Ce boulot,
peut-être le plus difficile à gérer dans le domaine, est aussi dévolu aux scripteurs.
A cet égard, briser le kayfabe est mal vu dans le monde du catch. Pour vous faire une idée, imaginez un acteur de théâtre arrêter
son rôle sur scène durant une représentation.
Pourtant, il arrive que le kayfabe soit brisé, suite à une blessure réelle, le décès d'un lutteur, une rivalité réelle entre catcheurs
ou un changement de scénario décidé en dernière minute (comme le Montréal
ScrewjobNote8).
Depuis l'ère d'Internet, la tenue secrète du kayfabe est de plus en plus difficile (voire impossible) pour les fédérations
de catch. Si par le passé, il était peu aisé de connaitre jusqu'à la véritable identité des lutteurs, il n'est pas rare de
nos jours que les différents scénarios fuitent sur le net. Parfois, ces fuitent sont orchestrées par les fédérations pour
brouiller les pistes (et s'assurer ainsi l'attention des fans), parfois non.
Que peut-il y a voir d'attirant dans un show télévisé montrant des mecs musclés et peu
habillés, des dialogues dignes d'un mononeurone et des demoiselles dans des tenues très aguichantes ?
Justement, des demoiselles dans des tenues très aguichantes !
A côté de cela, le catch est pour moi le double moment de détente hebdomadaire. Inutile de se retourner le cerveau pour
comprendre l'intrigue, on s'assoie dans le canapé et on ingurgite sans peine.
La pyrotechnie et les jeux de lumière sont aussi là pour attirer le regard. Pour couronner le tout, le duo de commentateurs
français (Christophe Agius et Philippe Chereau) a réussi à promouvoir le second degré du catch à travers un humour, certes bas de
plafond, mais agréable. Bref, le catch repose les neurones et c'est bien tout ce qu'on lui demande. Il s'agit d'un divertissement
(sportif) et il joue son rôle à merveille.
Le catch me semble moins débile ou abrutissant que la téléréalité, et si l'on loupe un épisode, on peut toujours suivre le
fil des histoires sans trop perdre au passage.
CM Punk à RAW, toisant les commentateurs Jerry Lawler et Michael Cole en 2012
© WWE
SmackDown et RAWNote9 sont mes seules habitudes télévisuelles. Il y a bien de temps en temps un documentaire qui me scotche devant mon écran mais le reste, je n'y accroche pas. C'est ainsi.
La mauvaise presse de la WWE provient aussi de la durée de vie limitée de ses vedettes.
Fermant les yeux sur les prises de stéroïdes, de drogue et d'alcool par les lutteurs, la fédération de Stamford se retrouve
depuis plusieurs années avec une liste d'ex-lutteurs passés de vie à trépas alors que ceux-ci n'avaient pas atteint les 60 ans
(voire même largement moins) : Randy « Macho Man » Savage (58 ans), Eddie Guerrero (38 ans), Andrew « Test » Martin (33 ans) ,
« Mr Perfect » Curt Hennig (44 ans), « British Bulldog » Davey Boy Smith (39 ans) ou encore Chris Benoit (40 ans). Le cas de Benoit
est encore plus glauqueNote10.
Depuis, contrainte et forcée pour son image, la WWE est enfin intransigeante par rapport à l'usage de substances illicites et elle
contraint au repos les lutteurs ayant subi une commotion cérébrale.
Mais comme pour rappeler les jours les sombres de la compagnie, c'est au tour de l'Ultimate Warrior (54 ans) de décéder inopinément.
En guerre ouverte avec la WWE depuis 1998, il s'était réconcilié avec la fédération il y a quelques semaines seulement. Ce retour
à la sérénité lui aura permis d'être intronisé au Hall of
FameNote11 et d'enfin avoir la reconnaissance qui lui
était due. Il a peut-être senti son heure arrivé à grands pas... Deux jours après son intronisation et au lendemain de son unique
passage à RAWNote12, son décès est annoncé.
Pour les anciennes gloires ayant la chance d'être encore de ce monde, la vie n'est pourtant pas des plus simple. Rey Mysterio en
est à la septième opération du genou. Il y a fort à parier que passé 40 ans, il ne pourra plus marcher normalement. Autre vedette,
autre problème avec Edge (40 ans) : contraint de prendre une retraite anticipée à 38 ans, le moindre choc supplémentaire au cou
pourrait le clouer définitivement dans une chaise roulante, voire pire.
D'autres, enfin, ont failli sombrer définitivement dans l'alcool avant de trouver leur salut. Jake « The Snake » Roberts et Scott
« Razor Ramon » Hall sont d'ailleurs revenus le temps du Hall of Fame.
L'Ultimate Warrior, peu avant son décès
© WWE
Cette liste de décès ou d'éclopés remet en question le divertissement sportif. Faut-il vraiment
aller toujours plus loin dans la prise de risque pour contenter les actionnaires et le clan McMahon ? Quel exemple ces morts ou
blessés donnent-ils aux jeunes fans ? Outre la passion qui anime les lutteurs, ceux-ci ont-ils réellement conscience de leurs
prises de risques ? Les contrats très lucratifs font manifestement pencher la balance du mauvais côté. Récemment, un lutteur-phare
de la compagnie à claqué la porte. Réclamant un repos bien mérité (les catcheurs les plus en vue sont sur le ring plusieurs jours
par semaine, et ce à travers le monde - à comparer avec le train de vie pépère de nos petits footballeurs) et suite surtout à un froissage
d'égo, CM PunkNote13 a disparu des écrans du jour au lendemain.
Trainant de multiples blessures depuis des mois, son employeur n'a pourtant jamais daigné lui permettre de se soigner. Punk a
préféré prendre les devant et se barrer. Définitivement ou non, le silence est de mise sur cette affaire.
Tous n'ont pas l'endurance d'un Mick FoleyNote14, légende vivante
du catch hardcore. Même si il tient encore debout, Foley ressemble plus à un grabataire qu'à un fringant et jeune quinquagénaire.
Pour terminer, et pour clore un chapitre vieux de plus de vingt ans, impossible de ne pas
évoquer le catcheur le plus emblématique de tous : The Undertaker.
Il n'a certes ni le palmarès d'un John Cena ou la célébrité d'un Dwayne Johnson (alias The Rock) et d'un Hulk Hogan, il représente
pourtant à mes yeux le prototype du parfait entertainerNote15.
A ce propos, la qualité d'un catcheur ne se mesure pas à son palmarès. Comme déjà expliqué et n'étant sportif que par le côté athlétique
de la discipline, les titres sont donnés aux lutteurs offrants le meilleur rapport investissement-rentabilité (ou aux amis de la famille
McMahon...) et suivant un scénario.
Techniquement parlant, Mark Calaway (le nom réel de l'Undertaker) a toujours été largement supérieur aux trois susnommés. Mais son
gimmick de mort-vivant (ou de motard) n'a pas aidé à faire de lui le personnage adulé par les morveux (marketing oblige).
Son ambition modérée l'aura aussi desservi tout au long de sa carrière. Loin d'avoir un égo surdimensionné comme pour la plupart des
autres vedettes de la compagnie (dont les trois stars mentionnées plus haut), il n'hésitera jamais à se coucher pour promouvoir un jeune
et perdre quand cela serait bénéfique pour la WWE (à l'instar d'un Big Show, d'un Christian ou d'un Chris Jericho).
Pourtant Calaway avait une particularité unique dans le monde du catch : sa série d'invincibilité à WrestleMania. Tenant depuis
21 ans, elle sera finalement enterrée lors du la 30ème édition du célèbre show. Et cette toute petite défaite
a entrainé un véritable séisme parmi les suiveurs. L'inimaginable était arrivé.
Le plus ancien employé de la fédération (arrivé en 1990) aura eu le privilège de choisir sa fin et son adversaire final. Belle (et rare)
preuve d'estime de la part de la WWE pour Calaway. Il faut dire que le gars passait la moitié de ses années à l'hôpital depuis 4 ans.
L'envie a beau être encore là, mais quand le corps n'en peut plus, autant arrêter les frais.
21 - 1
L'ère des pionniers de l'industrie du catch, ainsi qu'une part de l'extravagance des années 80,
semblent s'être éteintes avec la défaite du Taker et le décès du Warrior.
Place maintenant au catch dit "réel", où les personnages peuvent être des gens de tous les jours, où la psychologie des
gimmicks devrait prendre le pas sur le spectaculaire et où les ex-démons (Kane) jouent le rôle de directeur en costume-cravate.
Cela permettra peut-être au catch de ne plus être considéré comme un loisir de beauf.
Vidéo d'entrée de l'Undertaker
© Jim Johnston & WWE
Petite vidéo (21 minutes quand même ) montrant le grand professionnalisme et la personnalité étonnante de l'Undertaker. Aussi bien dans le milieu du catch qu'en dehors, peu de personnes peuvent se targuer d'avoir autant de mérite.
Voir la vidéo sur Youtube™
Hé ben mon con, je ne te savais pas amateur de catch à ce point. C'est drôle comme on découvre les gens. Ce qui est drôle aussi c'est que tous les noms de catcheurs que tu cites, je les connais sans avoir jamais été fan. Mais comme tu l'as dis, je regardais le show essentiellement.. pour le show justement. Ca reste léger et c'est le programme idéal en mangeant. Je me rappelle des années 80 ou je regardais le catch sur Canal + le dimanche soir pendant une demi-heure et en clair!! Mon père le regardais avec moi, un peu forcé et jamais amateur du truc. Encore une raison de lui tirer mon chapeau. Je me rappelle du Barber le gars qui coupaient les cheveux de ses adversaires à chaque fois qu'il gagnait le match. A cette époque le piratage informatif n'existant pas, j'avais été obligé de m'acheter Rock'n'Wrestle pour mon Amstrad CPC464. Et même si les graphismes étaient 100 fois [voire mille fois] moins bon que sur Commodore ou Atari, c'était la grosse éclate: WRESTLE
J'ai aussi vu le film The Wrestler avec Mickey Roorke, beau portrait.
Bref ton article est très intéressant et très bien écrit.
p.s: faire une session photos dans un vieux gymnase de pose/catch underground, ça te brancherait pas?
Bonjour Franck "La Crevette"
Disons que je creuse toujours ce qui m'intéresse un tant soit peu, même si à la base, j'en ai rien à foutre. De fil en aiguille, j'en suis devenu amateur. Et comme je n'avais rien à faire ce jour-là, j'ai pondu un article sur le catch.
Je me rappelle aussi des années 80 avec quelques brides de show qui me reviennent avec le fluo à te flinguer le nerf optique. La belle époque... Quant au nom des catcheurs de l'époque, je passe mon tour !
Aaahhh, l'époque de jeux sur disquette(s) ! Ça aussi, c'était grandiose !
Je dois avoir ce film quelque part, je le regarderai à l'occasion.
Merci bien !
P.S. Comme dirait Roger Murtaugh, "j'suis trop vieux pour ces conneries". Et puis, il faudrait que tu m'accompagnes dans le ridicule pour faire bonne figure